Un certain sourire

Année: 
2008

Quel ennui, quelle corvée ! Moi qui me réjouissais tant au début. Quand ce début ? Cela me semble loin, si loin. Plusieurs mois déjà. Encore une idée de mon mari. Je dois être la risée générale. Si cela continue, je n’oserai plus me montrer.

Quand Francesco m’a parlé de cette idée, de faire faire mon portrait comme cela devenait la mode, j’ai souri. C’était un signe de reconnaissance, d’affirmation de sa notoriété, de sa richesse. Il a dans son magasin les plus belles soieries d’orient. Faire le sien soulignait son âge. Il y a tant de différence entre nous. Je me suis mariée si jeune, à peine seize ans. J’étais vive et joyeuse. Il n’était pas question d’inclination, mais de situation. Comme toutes les femmes de commerçants autour de moi. Et j’ai fait un très beau mariage. Parmi les proches du pouvoir.

 

Il m’a présenté cela, peu de temps après la naissance de mon second fils. Le peintre, renommé, était de ses amis, le fils de son notaire.

Et moi, stupide qui l’ai approuvé. Avec un sentiment d’orgueil. Avec de la coquetterie. Montrer mes plus beaux vêtements, mes parures, mes bijoux. J’allais devenir une grande dame, oublier les humiliations de mon enfance modeste.

« Elle n’est pas très belle, avait-on dit de moi. Des traits réguliers, certes, mais un peu lourds. Elle a de belles mains mais le corps aussi est un peu lourd... » Les grossesses n’ont rien arrangé et je balance des hanches élargies, mais c’est le lot commun, à vingt-trois ans.

Je me suis présentée à la première séance de pose, excitée et intimidée à la fois. Le peintre, pardonnez, le Maestro, était un grand personnage. Il m’avait montré des dessins splendides. Je me voyais en Madone, un de mes enfants dans les bras, des anges, des profusions d’anges aux gestes gracieux, un manteau de velours bleu, quelques perles, un camée ancien. Un ciel d’azur faisant ressortir mon teint clair et mes mains, ces mains dont je suis si fière, que je soigne de tant d’onguents et de crèmes, ces mains au premier plan, en adoration devant le bambin. Ma nature de femme et de mère magnifiée. On pouvait même placer Francesco au fond en St Joseph. A peine amorcée, ma proposition a été balayée.

Il m’a vite fait comprendre que le thème était banal pour lui, réservé aux autorités religieuses, en outre que cela exigeait un format, des pigments onéreux, que l’on dépassait donc le cadre (dans tous les sens du terme) du tableau prévu et que de toutes façons ce n’était pas là le but de sa recherche artistique. Donc on s’en tenait au portrait. Soit.

Un autre peintre a fait de mon amie Simonetta un portrait merveilleux. De profil, ce qui lui donne une grande finesse, le cou allongé, des torsades de cheveux blonds entremêlés de perles là aussi. Je ne sais pourquoi, elle avait caché le bas du tableau, mais j’ai pu voir des bijoux et des étoffes de prix.

J’ai des cheveux châtains, assez peu fournis ordinairement tirés sous un voile. Avec des tresses et torsades postiches, je me suis préparée une coiffure compliquée, d’après un des ses dessins, et quand je me suis présentée la seconde fois, j’ai pris une pose de profil. Quelle honte ! Il m’a traitée de carnaval, m’a fait défaire cette coiffure qui avait demandé tant de peine et m’a remise de face, enfin légèrement de trois-quart. «  Vous ne comprenez rien à rien. Ce n’est pas ce que je cherche en vous. Vous n’êtes qu’un support de mon art. Et puis cessez de pleurnicher. Je vous veux simple et souriante. La prochaine fois aussi, rasez vous les sourcils. »

Dois-je décrire toutes mes déconvenues ? Aucun bijou. J’ai tout tenté : petit collier, boucles d’oreilles, épingles d’or. Rien. Et des remarques, des grommellements à chaque fois.